Vingt-cinq. C'est beaucoup vingt-cinq, non ? Plus que le quart d'une vie, si on considère que le quart d'une vie est de vingt ans. Et bien, ça fait vingt-cinq ans que je suis né, vingt-cinq ans que je suis sur cette planète. J'ai vu le jour à Perth le trois février 1988, dans un petit hôpital de la ville australienne. J'ai tout de suite fait le bonheur de mes parents, enfin c'est ce qu'ils racontent. Ils ont toujours voulu un fils, et me voici arrivé, nourrisson fragile et minuscule. Ils se sont tout de suite bien occupé de moi. Ils n'étaient pas très riches, mon père, cuisinier de son état, et ma mère employée comme secrétaire légèrement surexploitée, mais ils ont su m'apporter des choses que l'argent est incapable de donner, comme l'amour. J'ai donc grandi dans une famille aimante mais modeste, et j'ai été heureux pendant toute mon enfance, même si je souhaitais un frère ou une soeur pour me tenir compagnie. Tout a commencé à se gâter à mon entrée au collège. Bien sûr, au début ça allait. J'avais réussi à me faire deux ou trois amis qui me paraissaient sincères et loyaux, et je m'imaginais que je les garderais toute ma vie. Evidemment, je me trompais. J'avais le malheur d'être roux. (Je sais, ça ne se voit plus maintenant, sauf sous certains éclairages). Les préjugés ont la vie dure. Pour ne rien arranger, j'avais un appareil dentaire horrible, l'acné qui commençait à faire des siennes, et j'étais d'une maladresse incomparable. Faites un cocktail de tout ça, et vous trouvez un gamin rejeté par les autres. Au début, ça allait. Quelques piques par ci par là, j'avais mes deux amis pour me soutenir. Puis ils se sont éloignés doucement de moi, ma popularité basse entrainant la chute de la leur. Ensuite, j'ai commencé à recevoir des insultes, pas de coups physiques, mais les mots font tellement plus mal. Des sobriquets sont apparus, des jeux de mots avec mon prénom. J'étais affublé de «forever alone», «alone» ou même «lonely guy». Les professeurs n'ont jamais vu la violence verbale qui m'était adressée par mes camarades, ils pensaient sûrement que je me mettais à l'écart tout seul. Mes parents aussi étaient complètement aveugles sur cette partie de ma vie. Je le leur cachais bien. Je souriais toujours, je n'avais pas de comportement bizarre, ils ne m'ont jamais vu pleurer. Je faisais parfois croire que j'allais voir des amis, avec des noms sortant de mon imagination, et j'allais courir pendant des heures, puis je m'arrêtais dans un coin pour que personne ne me voit, et là je montrais ma tristesse, je réfléchissais à l'injustice que je recevais. J'étais en colère la plupart du temps. En colère contre mes parents, qui étaient incapables de s'apercevoir de mon mal-être, en colère contre mes soi-disant amis, qui m'avait lâchement laissé tout seul, en colère contre les gens de ma classe et leur cruelle méchanceté, en colère contre le monde entier qui continuait de tourner alors que je n'allais pas bien. Une pensée assez égoïste, mais j'avais tellement besoin d'attention. Mon manque de confiance en moi augmentait de jours en jours, en même temps que la maltraitance verbale dont j'étais victime. Et j'en ai eu marre, je voulais en finir. J'ai profité de l'absence de mes parents un soir pour me glisser dans la salle de bain. J'ai ouvert l'armoire à pharmacie, et j'ai pris les premiers médicaments qui me venaient. Je n'ai même pas regardé les noms inscrits sur la boîte, du temps que ça faisait effet, je m'en contrefichais. Et j'ai avalé, une, deux, trois, quatre pilules. J'ai tout vomi. Même la mort ne voulait pas de moi, quelle tristesse. J'ai tout rangé, et je me suis effondré sur mon lit. Mes parents n'ont encore une fois rien remarqué. Le lendemain, les garçons de ma classe sont passé à la vitesse supérieure. Ils m'ont coincé à la sortie des cours, et ils m'ont frappé. Tout seul contre cinq, je n'avais aucune chance, surtout que j'étais plutôt gringalet à cette époque. Je suis rentré chez moi avec de multiples bleus et ecchymoses, sans compter une fracture au poignet. Cette fois-ci, je n'ai pas pu faire semblant devant mes parents. Ils m'ont amené à l'hôpital, et je leur ai tout raconté. J'avais quinze ans, et après trois ans de persécution, ils ont enfin su. Leur réaction ne s'est pas faite attendre. Ils étaient furieux et ont voulu aller porter plainte. Je les ai supplié de ne pas le faire, je ne voulais pas que tout le monde sache. Ils ont finalement obtempéré, mais ont quand même contacté les parents des autres adolescents. Deux mois après, on déménageait à Stradbroke. De cette manière, je changeais d'air, et mon père, qui avait toujours souhaité ouvrir son restaurant, pouvait accomplir son plus cher désir. Nous prenions un nouveau départ. J'ai appris à me défendre, même si à Straddie je n'en avais pas besoin. Tout le monde était adorable avec moi. Je voyais un psy, qui m'a aidé à reprendre confiance en moi. J'ai encore toujours tendance à me dévaloriser, et je reste susceptible, mais ça va beaucoup mieux. J'ai eu mes premiers amours sur cet île, rien de sérieux mais j'étais content d'être enfin remarqué par les filles. Désormais, je travaille au bar restaurant de mon père sur la plage, et je le reprendrais un jour, j'apprends donc à le gérer. Ma vie est parfaite, il ne me manque plus que quelqu'un à mes côtés, mais je suis jeune, ça viendra un jour.