D'origine française, Esther, la mère de Gabriel, s'est installé à Straddie par hasard mais surtout pour fuir un mariage dont elle ne voulait pas. Elle a beau être née au XXe siècle, son père, patriarche d'une famille juive très traditionnel, considérait que l'union de deux personnes était d'abord affaire de convenances et d'argent, pas d'amour. Esther s'est donc enfuie et ce, avec son petit-ami de l'époque. Ils ignoraient alors que la jeune femme, âgée d'à peine dix-neuf ans, était enceinte. En apprenant sa grossesse, le compagnon d'Esther a bien vite disparu du paysage et est retourné vivre en France où il coule aujourd'hui des jours paisibles, entre une bouteille de gin et un divan complètement défoncé. Quant à Esther, elle a décidé de garder l'enfant et malgré les difficultés que représentent la vie d'une mère célibataire, elle est parvenue à élever seule son fils. Certes, elle a enchaîné les heures supplémentaires au café où elle travaille toujours à l'heure actuelle, mais elle a donné une vie aussi douce et agréable que possible à Gabriel alors que d'autres se seraient contentées d'avorter ou même d'abandonner le bébé. Elle s'est démenée pour pouvoir payer leur loyer et continuer à lui lire une histoire pour l'endormir. Ainsi, Gabriel n'a peut-être pas eu une enfance remplie par tous les jouets à la dernière mode mais il a toujours eu ce qu'il voulait, ou presque. Toutefois, il a grandi avec des valeurs et des principes. Sa mère lui a appris la détermination et la patience mais surtout à avoir la tête sur les épaules. Elle lui a très tôt fait comprendre qu'il pourrait vivre la vie qu'il voulait, du moment qu'il se donnait les moyens de l'obtenir. Et ça, Gabriel l'a bien compris. Gamin, il était buté et têtu ; au fil des années, ça n'a fait qu'empirer. Au lycée, il était considéré comme un paria, le mec que tout le monde méprise mais que personne n'ose attaquer. Qui s'y frotte s'y pique, apprenait-on à ses dépens. Seule Mickey, une petite brune excentrique, fumeuse de joins à ses heures perdues, s'est risquée à percer la carapace. Il en est tombé amoureux comme on s'endort après une longue journée harassante, naturellement, doucement. Elle s'est révélée être ce dont il avait toujours eu besoin sans jamais vraiment l'avoir compris. Il avait dix-huit ans lorsqu'ils se sont rencontrés, elle en avait seize mais ça ne les a jamais gêné. Ils ne se sont jamais quittés, en douze ans, pas même lorsque Gabriel a commencé à bosser alors que Mickey était encore au lycée. On ne peut pas dire qu'ils correspondent vraiment à l'archétype même du couple d'highschool sweethearts. Tout le monde s'attendait à ce qu'ils se marient très jeunes, aient un ou deux enfants, voire trois puis se séparent. Non seulement ils n'ont ni enfant ni alliance mais ils ne vivent même pas à proprement dit ensemble. Ils ont chacun leur propre appartement et bien qu'ils passent souvent leurs nuits ensemble, Esther, la mère de Gabriel qui, même si elle a des années plus tôt refusé de se plier aux traditions de son père, reste une parfaite petite mère juive , le leur rappelle aussi souvent que possible, ils ne vivent pas sous le même toit. Pas par peur de l'engagement, pas par manque d'affection ou par divergence, bien au contraire. Gabriel et Mickey forment un couple très uni, fusionnel même, et tout à fait complémentaire à tout point de vue. Simplement, l'un comme l'autre évite soigneusement d'aborder la question. Au départ, il y a quelques années, ils considéraient qu'il serait trop contraignant de vivre ensemble aux vues de leurs emplois du temps très différents ; puis, le temps passant, ils sont arrivés à la même conclusion sans se concerter. Ils ont leurs petites habitudes, leurs rituels et emménager ensemble changerait beaucoup trop de choses. Peut-être sont-ils finalement tombés dans une certaine routine, ce dont ils ont toujours eu peur l'un comme l'autre.