L'enfance
Je veux partir d’ici. Je respire plus, je ne vois plus rien. Je suis aveugle, je meurs doucement. J’en peux plus, je veux quitter cet endroit.
Ses yeux regardaient le plafond, sa tête était partie plus loin, dans un pays différent, une vie différente, c’était toujours un peu comme ça. Il ne l’avouerait jamais. Il ne dirait jamais que le gamin qu’il était aurait tout donné pour s’enfuir et ne jamais revenir. Pourtant, l’envie de vivre, elle n’était pas là, surtout pas à cet endroit. Les familles d’accueil, ce n’est pas facile à vivre, surtout quand on en trouve que des pourries. Des familles qui se disent familles que pour obtenir de l’argent et qui oublient le gosse aussitôt le chèque arrivé. Il avait un pote qui s’était trouvé une bonne famille, lui il n’a jamais eu cette chance. Il avait fait des efforts, parfois, quelque fois, peu souvent, mais on ne l’avait jamais récompensé. Alors, il s’en foutait. Il rackettait les autres gamins et leur faisait peur, alors qu’il rêvait d’avoir leur vie. Il n’en pouvait plus de toutes ses méchancetés, jour, après jour, après jour.
« J’comprends pourquoi tes vieux t’ont abandonné. »
« Tu n’pourrais pas être un peu reconnaissant ? On t’a sauvé la vie. »
« Tu ne sers à rien, t’es qu’une ordure. »
« Parfois, je m’demande pourquoi on ne te laisse pas à la rue. »
« Pourquoi tu n’crèves pas ? »
Et d’autres, des centaines d’autres, répétées sans arrêt. Skylar avait grandi dans un environnement où il était traité comme de la merde, constamment. Lorsqu’il était loin des adultes, il intimidait les autres enfants. Au cas où ils comprendraient ses faiblesses, il ne pouvait pas les laisser l’insulter eux aussi, alors c’était lui qui les insultait. Il n’avait aucun ami, pas la peine de vous le dire. Il était seul, terriblement seul. Un enfant solitaire, dépourvu de bonheur et de joie. Il eut une enfance traumatisante dont il ne garda aucun bon souvenir. Lorsque l’on lui parle de son enfance aujourd’hui, il ne répond pas. Il sert les poings et se tait. Cette enfance-là, c’est un peu le début de tout. Le début de son attitude d'aujourd'hui. On l’a élevé en le persuadant qu’il n’était qu’un bon-à-rien, un connard, de la merde, alors il a fini par y croire. Aujourd’hui, l’adulte qu’il est n’est que le reflet de l’enfant que les adultes voyaient en lui. Et le pire, le pire c’est qu’il est persuadé qu’il est ainsi et que c’est sa destinée. Il ne peut pas être sympa, il ne peut pas accorder sa confiance, il ne peut pas risquer d’être aimé des autres et, surtout, il ne peut pas se permettre d’aimer. Les émotions, c’est des conneries et l’amour est la plus grande d’entre elles.
Premier septembre ‘99
Je n’ai pas envie d’y aller, mais pas du tout. Je n’ai pas envie d’aller supporter cette nouvelle maîtresse qui va tenter de me rentrer quelque chose dans la tête contre mon grès. Qu’est-ce que j’en ai à faire que bijou, caillou, genou et chou prennent un x au pluriel ? Pourquoi est-ce que je devrais m’intéresser à la fraction, à la division et à toutes ses choses que l’on apprend, mais que l’on ne sait pas vraiment pourquoi ? Je n’ai pas envie de m’asseoir au fond de la classe et de sentir mon regard peser sur le dos des autres élèves, alors qu’ils ont si peur de moi. Le voyou, l’enfant dont les adultes disent le nom en chuchotant, le regard terriblement désapprobateur. Je n’ai pas envie de manger mon pain entre deux autres personnes qui ont trop peur pour me dirent que je les dérange. Je n’ai pas envie de me sentir indésirable, comme d’habitude. Pourquoi est-ce que l’école existe ? Lorsque je le demande, les adultes me répondent toujours la même chose : « Pour apprendre. » À quoi ça sert d’apprendre ? « À te débrouiller dans la vie. » Je ne comprends toujours pas. Je ne comprendrai jamais, j’imagine, puisque je n’aime pas l’école et je n’apprends donc pas. Je préfère sécher et, à huit ans, c’est mal vu, mais je m’en fous.
Moi, mon père, c’était probablement un gangster parti dans une aventure digne d’Indiana Jones et il est resté coincé dans le fond d’un temple alors qu’il était parti à la rescousse de ma mère. Lorsque j’en parle aux adultes, leur sourire est triste. Pourquoi les adultes croient-ils que les enfants ne remarquent pas ce genre de chose ? Moi, je les remarque. Je les vois et je suis persuadé que tout enfant en est capable. On n’est pas des cons, nous les enfants, on est juste plus petit. Plus petit et plus fragile. C’est probablement parce que je suis fragile que je ne peux pas dire non. Je vais donc à l’école, à la rentrée. Je n’ai pas le choix. Lorsque j’ai dit que je ne voulais pas, on m’a donné une gifle en retour. Franchement, je n’ai pas envie de savoir ce qui viendrait si je n’y allais réellement pas. Je ne suis pas con, j’ai compris les adultes il y a longtemps. Je m’assis donc au fond de la classe, le regard pesant lourd sur le dos de mes camarades alors que je supporte durement le poids du monde sur mes épaules. Un jour, il m’écrasera, malheureusement ce ne sera pas cette année.
L’adolescence
« J’en ai rien à foutre » marmonna-t’il, son regard froid perçant celui de son interlocuteur. Comment expliquer aux autres comment il se sentait, alors que tous ces gosses autour de lui devenaient des adultes et qu’il ne se sentait pas différent ? Au contraire, c’était pire. Il avait adopté une attitude de je-m’en-foutisme. Il ne s’intéressait plus à rien, il ne voulait rien savoir, il se préoccupait encore moins des autres. Il voulait juste avoir la paix. Il se sentait constamment vidé, inutile. À quoi bon vivre ? se demandait-il de plus en plus souvent. Il ne ressentait rien, de toute façon. C’était tellement ennuyant, tellement fatiguant. Le blanc total de ses pensées ne créait plus que du noir dans ses sentiments. Il ne voyait plus de raison pour vivre et encore moins pour rester. Évidemment, tout ce à quoi il pensait alors, c’était de partir, mais il ne le fit pas. Il ne le fit pas, parce qu’il ne voulait pas donner cette satisfaction à ceux qui l’entouraient. Il ne voulait pas qu’ils aient enfin réussi à se débarrasser de lui. Et le point le plus important : il avait déménagé. Il avait changé d’endroit et être entouré de gens qu’il ne connaissait pas, ce fut un peu le commencement réel de Sky. Ces mecs ne connaissaient pas son passé et ces nanas-là s’en foutaient bien aussi. Il pouvait faire ce qu’il voulait. Et oui, peut-être qu’il était devenu un peu manipulateur, un peu hypocrite, un peu stupide, mais, en même temps, il devint un peu plus vivant et ça lui fit tellement de bien que l’on s’en foutait un peu de tout le reste.
Il avait des potes. Du moins c’est ce qu’ils se disaient, mais ses « potes », il les aurait jetés aux lions si ça avait sauvé sa vie. Il s’en foutait un peu d’eux. La différence, c’était que les gens ne le détestaient plus maintenant, au contraire. On pourrait croire que ça lui ferait la grosse tête, mais non. Sky restait Sky et il ne se préoccupait pas vraiment de son changement radical de situation. Et c’était donc à ce moment qu’il commença à trainer avec des gens qui ne l’intéressait pas vraiment. Son adolescence fut remplie d’indifférences envers les études, d’indifférences envers ses potes et d’intérêt pour les choses illégales. Skylar recherchait l’aventure solitaire, à croire qu’il l’a trouve encore dans ses propres escapades psychiques.
10 août 2009’
C’était un lendemain matin. Les rayons du soleil cognaient dur dans sa tête, alors qu’il souleva ses paupières, si lourdes qu’il eut l’impression de lever de véritable poids avec la force de ses yeux. Il observa son réveil matin, soupira. L’intérieur de son nez était en sang, il ignorait si c’était à cause d’un doorman qui l’avait foutu dehors plutôt violemment ou Jane qui lui aurait refilé un truc. Est-ce que c’était le seul truc que Jane lui aurait refilé ? se demanda-t’il, en avalant une tasse de café. Il soupira, se rendant à l’université en loques. Ses cours, au moins, il y allait, se disait-il. Il y avait bien des matins où il se retrouvait trop près de la cuvette, un réveil brutal et désagréable. Au moins, ce matin, il avait l’impression de faire quelque chose de bien. Même si, dès que ses cours commencèrent, il ne pensa plus qu’à la pause. À la clope qu’il fumerait. Et à la soirée qu’il passerait. La journée fut longue, il enchaina clope par-dessus clope. Le soir, il se retrouva dans le même bar à nouveau. Il y était bien, il y était un habitué. Le staff le connaissait et les autres habitués du bar aussi. Il y oublia sa journée de merde avec l’alcool, les joints. Les gens autour de lui étaient dans la vape, mais lui il allait bien, il avait sa ligne devant lui pour l’aider à tenir debout. Et malheureusement, cette soirée-là, c’était un peu comme tous les soirs.
L’adulte ?
Aujourd’hui, Skylar a vingt-deux ans. Il ne s’est pas sorti de ses problèmes, il n’a même pas mis un pied hors de ses problèmes. Lorsqu’on lui pose une question sur ses sentiments, il ferme aussitôt la porte. La seule chose qu’il avoue aimer, c’est la plongée. Plongée avec les poissons, sous l’eau. Le calme, le silence qui vous envahit est si puissant que ça le fait rêver. Lorsqu’il est sous l’eau, il n’a pas besoin de quoi que ce soit pour enjoliver la réalité et ça, ça lui fait du bien. Skylar ne se préoccupe de rien qui ne soit pas la plongé et l’océan. D’ailleurs, c’est pour cela qu’il a déménagé, il y a trois ans, à Straddie sans en parler à qui que ce soit. Il couche avec tout ce qu’il veut et il ne comprend pas l’amour. L’amour n’est qu’un concept, rien de réel. Le réel est le plus important, selon lui.