Tu sais pas pourquoi mais aujourd’hui t’es d’humeur nostalgique, t’essaies de reproduire les scènes des films quand tu vois des meufs à la fenêtre de leur chambre en train de penser en regardant le vide. Bon, toi ça fait pas le même effet parce que y a rien pour s’asseoir à ta fenêtre alors t’es obligée de prendre une chaise de cuisine pour regarder dehors et en plus, toi t’as vu chez le voisin qui passe sa vie à essayer de te mater. Tu pourrais bien te bouger pour ne pas qu’il ne t’observe, mais t’as la flemme alors tu laisses couler, pour une fois qu’il peut se rincer l’œil, même si en soit, y a pas vraiment grand-chose à regarder.

T’as un cahier dans les mains qui t’appartenais quand t’avais 10 ans, mon dieu comment ça remonte, aujourd’hui t’en as 10 de plus et tu sais que tout ce que contient ledit cahier est derrière toi, et pourtant.

24 décembre 2002 – Demain c’est noël et maman et papa ne veulent pas me donner mes cadeaux tout de suite, bon, oui d’accord c’est parce que c’est pas encore le jour J, mais et alors, j’ai déjà vu ce qu’ils m’ont achetés alors tant qu’à faire ! En plus faut que j’aille aider maman à préparer à manger parce que papa ne peut pas le faire vu qu’il est coincé au bureau. Ces derniers temps il y passe beaucoup de temps d’ailleurs, un peu comme si il vivait carrément là-bas. Je voudrais tellement qu’il soit un peu plus présent, mais maman ça n’a pas l’air de la gêner plus que ça, bizarre, mais après tout, j’ai pas à me mêler des problèmes d’adultes, c’est pas mes affaires.

Tu rigoles quand tu relis ce passage et tu te demandes pourquoi t’étais aussi con à l’époque. Sérieusement, si y a bien un truc inutile dans ce cahier, c’est bien celui-là, même si tu te doutes bien que ce n’est pas le seul. Tournant la page, t’essaies d’aller le plus loin possible pour retrouver un autre moment que t’avais pu écrire à l’âge débile.

14 février 2003 – Aujourd’hui c’est la saint-valentin et toutes mes copines ont reçus des cartes, mais pas moi, moi j’ai eu mieux. Des roses ! Oui, comme dans les films ! Bon par contre je sais pas qui me les a envoyés, mais toujours est-il que c’est très mignon, en plus c’est accompagné d’un petit mot sur lequel est écrit « L’école j’aime pas, mais avec toi c’est bien. ». J’ai ma petite idée de qui ça peut bien être, même si je n’en suis pas sûre, faut que je mène ma petite enquête.

Tu te souviens de ce jour comme si c’était hier, en même temps comment l’oublier, t’avais reçu ta première « déclaration d’amour » alors que t’étais à peine au collège, de quoi faire rager toutes tes copines. Tu regardes la page sur laquelle sont écrits ces mots avant de regarder un peu plus bas.

14 février 2003, part 2. – Je ne sais pas bien ce qui se passe mais maman et papa ne sont pas à la maison, j’ai essayé de les joindre mes ils ne répondent pas. Je commence à m’inquiéter parce qu’il est presque 19h et ils ne m’ont jamais laissés seule comme ça. J’ai essayé de me concentrer pour faire mes devoirs mais au lieu de ça, je préfère écrire dans mon journal, je sais même pas pourquoi. Sûrement que ça me rassure d’avoir quelqu’un – du moins quelque chose – à qui parler.

De ce moment-là aussi tu t’en souviens. T’étais seule chez toi et tu stressais parce que tu savais pas ce qui se passait. T’avais utilisé tout ton crédit pour appeler tes parents pour savoir ce qu’ils faisaient, mais ils ne répondaient pas. Ce soir-là t’avais même pas fais tes devoirs et manger n’était même pas au programme, t’étais à la fenêtre du salon et tu priais pour que tes deux parents franchissent le pas de la porte, en vain.

18 février 2003 – Moi et maman on sort tout juste de l’enterrement et on ne s’est pas parlé depuis qu’elle m’a annoncé la mort de papa. Je lui en veux de ne m’avoir rien dit et j’en veux aussi à papa de m’avoir laissé à l’écart de tout ça. La dernière chose que je lui ai dites c’était « Tu peux prendre des cornichons en rentrant du boulot ce soir s’il te plait ? Maman veut pas m’en acheter. » Et depuis, plus rien. Bref…

Tu fermes le cahier et le jette sur le lit juste à quelques mètres de toi. Ouais, tu te souviens bien de ce jour-là. On venait juste d’enterrer ton père et t’avais passé toute la journée à pleurer. Le soir où ta mère est rentrée pour t’annoncer ça, tu t’étais contentée de ne rien dire et de t’enfermer dans ta chambre. Sûrement qu’elle a besoin de rester pensait ta mère. Oui, mais cette volonté de rester seule n’allait pas partir du jour au lendemain. Pendant deux bonnes semaines tu n’as pas parlé à ta mère qui n’essayait pas non plus de venir vers toi, et ça ne te déplaisait pas vraiment.

Tu déprimais toute seule dans ton coin et les deux semaines passés, c’est finalement ta mère qui a fait le premier pas, tu l’as repoussé en lui expliquant bien à quel point tu lui en veux de ne t’avoir rien dit au sujet de la maladie de ton père, à quel point tu lui en voulais de ne pas t’avoir laissé l’opportunité de passer plus de temps avec ton père, à quel point t’en avais marre quoi.

T’auras passé les 5 années suivantes à lui parler juste quand t’en avais besoin parce que depuis la mort de ton père, tout a changé et même aujourd’hui, t’as pris ton particulier et tu la vois presque plus mais les rares fois où vous êtes dans la même pièce, t’as du mal. Tu lui en veux encore même si au fond de toi, ça te déchire d’avoir ce genre de relation avec ta propre mère, mais bon, ta mère ne va sûrement pas faire le premier pas, et toi non plus alors bon.

Aujourd’hui t’as 20 ans et t’as une vie à toi, t’as plus le temps de te préoccuper de ce genre de chose, du moins, tu t’en persuades parce qu’un jour va bien falloir que tu lui reparles mais ce jour, ce sera pas aujourd’hui.