Connard d’enfoiré, qu’il lui a dit. Ou peut-être bien petit enculé, il ne sait plus. Mais, au fond, ça n’a aucune foutue importance. Jamais il n’aurait pu s’attendre à une telle réponse de sa part. Et d’ailleurs, quelle réponse, puisqu’aux yeux d’aj, ce n’était même pas une question qu’il lui posait. Pourtant, monsieur s’est senti en droit de lui balancer un gros va t’faire enculer avec tes idées de merde à la gueule, comme ça, sans prévenir. Bon d’accord, c’est pas vraiment ça qu’il lui a dit, mais au fond, ça revient au même. Ça revient au bon vieux crève la bouche ouverte, jamais j’habite avec toi. Même si, de la bouche de Killian, c’est sûrement sorti comme un simple non merci. Mais allez, déconnons pas, ça veut dire exactement la même chose.
Se frottant rapidement la nuque, le jeune homme a beau retourner mille et une fois cette question dans son esprit, il n’y trouve toujours aucune réponse. Aucune foutue de putain de réponse de merde. Il a toujours tout compris, pourtant. Bon, d’accord, il était une merde à l’école, il n’a jamais été foutu de se dégoter un vrai job et, pour combler le tout, il n’a jamais eu le courage de se retenir de foutre une vraie relation sérieuse en l’air, mais… Mais bordel, Killian, il le connait. C'est peut-être la seule chose au monde qui ne lui échappe pas, d'ailleurs. J’sais pas, il le connait comme sa poche, comme il connait la musique, mieux encore, il le connait comme s’il l’avait fait, putain ! Bon, okay, un peu dégueu mais ça résume assez les choses. Et là, pourtant, il est tombé des nues. Genre, boum, gros saut du haut du San Francisco Bridge. Sans parachute. Sans trampoline à la fin. Juste toi aj, ton saut sans protection et ta sale gueule amochée. Et merde, ça fait plus mal qu'il n'aurait pu l'imaginer.
En vérité, il ne lui a rien dit du tout. Pas une seule insulte n'est sortie de sa bouche et, alors, il s'est relevé, a choppé sa bière et a reposé ses lunettes sur ses yeux avant de lui balancer un simple cool. Puis il s'est cassé, il s'est barré loin et depuis, ils ne se sont pas revus. Tu sais, quand t'as la crève de l'hiver, celle qui fait couler la morve pendant des jours, mais que t'as pas un seul foutu mouchoir pour l'essuyer ? Quand t’as coupé ton ongle trop court et que, du coup, il finit par rentrer dans ta peau. Quand tu crois avoir couché avec la plus grosse bombe de la ville, et que tu ouvres finalement les yeux, le lendemain matin. C'est la merde, ouais. Ça fait comme jouer au roi du silence avec son meilleur ami pendant plus de douze heures. Sauf que ça, ça fait encore plus chier que toutes les situations reloues du monde… Réunies.

Aj s’enroule finalement dans sa serviette et alors qu’il sent les premières gouttes d’eau glisser le long de son corps, il réalise qu’il a encore du sable entre les orteils. Putain de foutu sable ! Il adore Straddie, oh oui. Mais, sans blague, ce serait pas mieux une île sans sable, hein ? Parce que le sable, c’est comme la poussière, ça s’incruste partout, c’est extrêmement collant, une fois que t’en as ça s’en va jamais et ça fait chier. C’est comme les nanas, tiens. Alors il se dirige vers l’immense salon, s’empare d’un post it et écrit en capitale un magnifique « MERCI DE NETTOYER LA SALLE DE BAINS AU PLUS VITE. » Il aurait pu mettre ASAP, mais ça fait cliché alors il se contente de le coller sur la porte d’entrée, tout simplement. L’espace d’un instant, il songe à se casser sans même fermer la porte à clé. Et puis, la réalité le rattrape. T’es plus aux states mec, tu dois au moins enfiler un pantalon avant de sortir.
Où il va ? Il n’en sait rien. Ou alors peut-être le sait-il trop bien ? Il aimerait pouvoir s’en dissuader mais, j’sais pas, c’est peut-être son instinct, ou un autre truc incompréhensible, mais ses pas le dirigent directement vers Amity Point. Vers Bay Cottage. Vers le numéro 164. Vers son putain de meilleur pote qui a salement décidé de l’abandonner, tout simplement.

Il ignore s’il sera le bienvenu et, au fond, il s’en branle. Si Killian ne veut plus de lui, alors personne sur cette Terre ne voudra encore croiser son chemin. Parce que Launceston, c’est le seul qui le supporte depuis si longtemps, sans jamais rien dire sur lui. Alors c’est ça, hein ? Ca fait trop longtemps qu’ils font ça, trop longtemps qu’ils sont ensemble, tellement qu’il a fini par en être soulé ? Secouant vivement la tête, aj franchi les derniers mètres qui le séparent encore du mobil home. Si ce chien n’est pas là, il va l’entendre ! Ou pas, en fait.

Sans la moindre gêne, il franchit le seuil de la porte, espérant y trouver un semblant de vie. Et, Dieu merci – ou n’importe qui capable d’avoir fait ça, tiens – c’est effectivement le cas. Calé à l’entrée du mobil home, il ne prend pas la peine de prononcer le moindre bonjour et se contente plutôt d’observer la pièce dans laquelle il vient de foutre un pied pour la première fois. « Merde, t’as de la chance de pas être claustro’ ! On peut rentrer à deux là-dedans ou… ? » Un pas en avant, puis deux et, finalement, il pose son regard dans celui de Killian pour la première fois depuis deux ans. Okay, ça fait sûrement pas plus de trois jours qu’ils se sont pas vus, mais dans leur temps à eux ça fait au moins deux fois trois cent soixante-cinq jours. « L’avantage, c’est qu’ici tu peux quasiment tout faire en même temps, vu que tous tes meubles sont les uns sur les autres. Avoue, tu manges en prenant ta douche. » Il le charrie, évidemment, parce qu’il l’a toujours charrié, et qu’il le fera toujours. Mais c’est peut-être aussi sa façon à lui de dire « t’avais aucune raison de refuser d’habiter avec moi, mec ». Finalement, il décide d’arrêter de se foutre de sa gueule et se pose alors sur le canapé, sans attendre la moindre permission. Alors il sort son briquet et commence à jouer avec – il sait plus trop s’il attend une bière, la permission de fumer ici, ou simplement de se faire jeter comme une merde à coup d’coup de pieds au cul. Mais il prend quand même le risque, tant pis. « Alors comme ça on m’évite, hein ? » Ou comment rebalancer le sujet sur le tapis, tiens.