Je ne saurais dire à quelle période ma vie a commencé à déconner. Je suis née avec une petite cuillère en argent dans la bouche. Nous habitions à Leeds. Ma mère était alors une mannequin anglo-russe qui avait plaqué son métier et sa vie pailleté pour vivre avec mon père à Leeds. Fini les voyages, ma mère tomba l'année suivante enceinte. Je sais que même avant qu'il ne rencontre ma mère, mon père était un coureur de jupons renommé dans sa catégorie. Enfant, mes parents m'épargnaient leurs crises de couple et paraissaient devant moi parfaitement heureux. C'était la belle vie. Nous vivions heureux dans notre grande maison victorienne avec nos deux labradors Pingoo et Mickey, ma mère avait un ouvert un semblant de boutique en ville pour avoir une activité et mon père "travaillait". Certes il travaillait mais un peu trop...

Quand je rentrais au lycée, enfin dans mon internat privé pour filles de la bonne société, j'étais la parfaite garce. J'étais jolie, mince, riche, intelligente, j'avais d'excellentes notes, je faisais partie de l'équipe de volley. Le monde m'appartenait. Mes parents me passaient tous mes caprices, j'étais pourrie gâtée, adulée mais détestée par toutes les filles de la Terre et en première ma seule "vraie" amie, celle que je considérais comme ma meilleure amie me piqua le garçon que je voulais depuis des mois. J'avais tempêté, rouspété et fais à cette pauvre fille une réputation lamentable. Combien de personne voulait voir ma descente aux Enfers. Je dirais des centaines. Celle-ci arriva plus vite que je ne m'y attendais. C'était la fin du règne de la parfait Jaymes Gabrielle Bickford.

A vrai dire cela faisait bientôt deux mois que mes parents n'essayaient plus de paraître être le parfait petit couple comme ils faisaient avant. Maintenant ils se criaient dessus pour une broutille et combien de fois mon père a levé la main sur ma mère. Mais mes yeux, mon cerveau m'ordonnaient de ne pas voir. A vrai dire avec le recul je pense que je n'ai jamais aimé mes parents comme un enfant aime ses parents. Mon père et ma mère n'étais jamais là, toujours à leurs occupations. Je me débrouillais seule, mes parents me servaient juste de carte bancaire. Mais quand un soir ma mère demanda calmement à mon père de faire ses valises et de partir je fus terriblement affectée. Ma mère dans son divorce garda tout : la maison, les deux voitures, la moitié de l'argent, les meubles et moi. Mon père alla vivre chez son amante du moment puis chez la fille qu'il avait mis enceinte au lycée. Ma vie s'écroula, ma mère décida qu'elle ne pouvait plus se permettre de m'offrir tout ce que je voulais, au lycée j'étais la fille du mec qui avait fait sa femme cocue. D'ailleurs peut-être que l'ex Mrs Bickford avait elle aussi était voir dans le lit d'un autre, et peut-être n'étais-je pas une vraie Bickford. Du statut de reine du lycée j'étais devenue la looseuse par excellence, la fille qui avait trompée son monde alors que moi je n'avais rien fait. C'est sans tristesse que j'ai quitté ce fichu lycée pour un nouveau lycée en terminale.

C'est ainsi que je suis arrivée dans un nouveau lycée. je pensais que j'allais pouvoir redevenir la fabuleuse Jaymes mais les potins étaient arrivés jusqu'ici. Les gens étaient moins méchants, après tout, tout le monde avait ses problèmes! J'étais une fille parmi les autres, ici c'était dur de briller alors je m'y suis faite. J'avais une vie sans goût, plate, monotone. Je me disais parfois que j'étais sur pause, qu'il ne faudrait qu'un étincelle pour tout rallumer. J'essayais parfois mais je finissais par laisser tomber. Oh rien ne m'atteignait, la vie des autres n'influencerait pas la mienne. Et je le vis. Son allure, ses gestes, sa voix, tout chez lui semblait travaillé. Mais il semblait tout aussi inaccessible. Combien de filles se sont échouées et blessées sur le rocher qu'il était? J'ai longtemps cru que rien ne serait possible, j'ai été passive. Puis un matin j'en eu marre. J'ai alors ressorti mon costume de Jaymes la fabuleuse. Nous jouions, je retrouvais ce petit arrière-goût. L'arrière-goût de la victoire. Je pensais tout contrôler qu'une fois que je l'aurais mis dans mon lit tout disparaîtrait. Mais ce ne fut rien de tout cela. Il ne se laissait pas faire. Un jour il me regarda droit dans les yeux et me jura qu'il ne craquerait pas le premier. Je l'ai cru et j'ai compris, nous ne jouions plus, il y avait des sentiments, c'était plus fort qu'une simple attirance physique. Il faisait ressortir le meilleur de moi. Auprès de lui je devenais celle que j'aurais toujours du être loin de la garce superficielle. La chance semblait de nouveau me sourire.

C'était la fin du lycée. Nos amis disaient que nous étions faits pour finir notre vie ensemble. Je les croyais j'étais naïve, aveuglée par l'amour. Il commença à me parler mariage, maison, bébé. Que pouvais-je demander de plus? A l'instar de ma mère j'étais prête à faire confiance à l'homme que j'aimais aveuglement. Moi qui m'étais promise de ne pas reproduire le même schéma que ma mère j'allais le faire. Je compris assez facilement. J'avais vu mon père agir ainsi pendant dix-sept ans. C'était du vécu. Il ne répondait plus de la même façon aux baisers. Je n'avais jamais osé lui dire vraiment les trois mots fatidiques, je lui disais mon amour autrement. Mais ce jour quand je le vis dans la voiture avec cette pétasse blonde, il n'y avait plus d'amour. La haine m'habita quelques jours mais ce fut ensuite juste un gros vide. Je ne ressentais plus rien. Son nom ne me faisait plus tressaillir, son odeur ne provoquait rien chez moi. Je m'étais sans doute faite à l'idée que cette relation était catastrophique. Je me contentais de lui rendre sa bague et de continuer ma vie. Je suis partie à New York faire des études de journalisme pendant trois ans, j'ai ensuite arrêté et j'ai échoué à Straddie il y a deux ans, un peu par hasard. J'y étais venue avec une amie de fac l'année précédente pendant les vacances. J'avais eu deux essais, celui-ci serait le bon, celui-ci devait être le bon.

A Straddie je ne me sens pas l'envie et le besoin de redevenir Jaymes la fabuleuse; ici je suis celle qui est la bonne personne à être : souriante, sociable, un peu réservée quand même, généreuse, altruiste. Il me reste mon côté émotive et romantique mais peu importe je suis comme je suis. Je suis plus sereine, c'est fatiguant de jouer les pestes. Ici je suis heureuse. Seulement il y en a un qui a refait surface et qui semble vouloir remettre le bazar dans ma tête et dans mon cœur. Il m'a surprise une fois avec mon petit ami de l'époque, il a eu l'air jaloux, il m'a dit qu'il voulait recoller les morceaux. Mais cette fois-ci je l'ai regardé dans les yeux et je lui ai promis; promis que je ne craquerais pas la première.